Review Summary: Souffle de titan, Time Heals All est un plongeon ambiant vertigineux dans le mystère de l'existence et une autre étonnante réussite pour ASC.
Nous savons désormais et ne doutons plus que James Clements, alias ASC, est un véritable alchimiste électronique, fécond de surcroît. Cherchant sans cesser a transmuer les sonorités en lumière, nourri par la science-fiction de
Blade Runner et de
2001, l'Odyssée de l'espace, héritier des architectures autechreriennes, pas un genre ou une idée ne lui échappe. Il a donné de grands morceaux de noblesse a la drum & bass : pensons aux respirations haletantes de
Open Spaces ou au voyage intergalactique que nous offre
The Astral Traveller. Il s'est frotté a un mélange de techno et d'IDM sur
Nothing Is Certain, et cette année il nous a offert tout un catalogue de créations intéressantes, au front desquelles je dois sans faute mentionner le raffiné
Machine Love, cet EP de couleurs porté par les filets secrets du son « Autonomic » dont ASC est un précurseur. Ses productions émanent un caractère spirituel, étendues comme de longs draps de firmament tandis que ses synthétiseurs et tout son équipement musical font poindre des scintillements de veilleuse ou de chandelle au loin, émetteurs contemplatifs qui vous obsèdent l'esprit dans des façons de bercement voire d'ASMR hypnotique. Et c'est a cela, et peut-être encore plus que tout ce qui précède, c'est a cela que participe son plus récent album ambiant et « dronique »,
Time Heals All, illustré par une image de la lune sur fondu bleu modeste.
L'opus est vaste, très vaste, inspirant puis expirant, encore et encore, habité par de patients rythmes cardiaques, sévère en apparence mais parcouru de mélodies inspirantes ou de basses magnétiques qui vous attirent comme des aimants. Chaque morceau suit son orbite avec une régularité astronomique; chaque composition grésille, tournoie, insuffle, respire tel un sphinx aux yeux tout-puissants. Cette fois-ci, pas une percussion ou un battement ne s'invite a l'énigme, aucun signe de fulgurante D&B ou de techno fébrile ou d'IDM sophistiqué : l'œuvre trouve son oxygène dans une atmosphère majestueuse, système splendide qui fonctionne comme un vent éternel enfermé dans le globe de verre qui orne votre chambre intérieure, ou ainsi que le plafond circulaire et harmonieux d'un Panthéon neuf.
Time Heals All est la cathédrale d'un autre espace-temps; ses proportions et ses coordonnées s'
écoutent plutôt qu'elles ne se comprennent; elle est maintenue par la charpente des grandes questions philosophiques et la toiture des petits ou grands espoirs. L'album exige plusieurs écoutes mais vous récompense avec un monde. C'est peut-être de l'ambiant, mais jamais il ne se tait, jamais il ne s'essouffle, au contraire animé de questionnements océaniques que traduisent sa qualité dronique, ses sonorités flottantes et ses beaux soupirs.
L'album est une symphonie nappée de mouvements. « Throughout The Years » est l'hymne de quelque dauphin céleste sinuant parmi un éther automnal. « Falling From The Sky » zèbre les oreilles avec des filaments et des vapeurs qui crépitent, soutenue par une basse latente et tendue. Les guirlandes de « Snow In Summer » évoquent le décor fantastique d'une Noël nouvelle. « Nothing To Lose » constitue une espèce de tentative de l'infini : quelques cristaux ponctuent des lignes mélodiques qui avancent a larges coups d'aurores boréales remuantes. La composition est douce, douce, douce, et pourtant forte et sonore. « If Only For A Minute » s'égrène avec des textures de harpe dans une ambiance consolatrice, représentation de l'ange qui ramasse un cœur dans la vallée des larmes. Tel un esprit au bord du formidable précipice de l'existence, œil qui fixe l'abîme des énigmes et qui s'y laisse glisser comme par attraction, « Are We On The Same Wavelength? » donne le vertige des vertiges, notes et points en suspension, couloir, tunnel ou mieux encore cylindre des profondeurs.
Sur le second disque, aussi riche que le premier, « Vanishing Point » incarne l'orage des soirs gigantesques, théâtre de toutes les anomalies et de tous les réactifs, cisaillé puis transpercé d'éclairs de givre qui s'émiettent. « Prayers For Abandoned Cosmonauts » mélange ses échantillons vocaux sacrés a des vagues d'atmosphère, semblables aux vents qui font songer; des sons plus métalliques et acides modélisent la composition. C'est le requiem de l'album, ainsi que sa croisée, ainsi que son adjuration, lançant un appel aux égarés grâce a une atmosphère qui surnage vaillamment dans l'espace. Un peu plus loin, la basse puissante de « The Infinity Pool », qui porte bien son nom, vibre parmi des sonorités liquides, surplombe tel un dôme et enveloppe autant qu'une baignoire peut envelopper. « Full Circle » et « Satellite's Final Voyage » concluent l'album mystérieusement, lumières qui s'éloignent et corps se repliant, il pleut le turquoise dans celui-la où un sample vocal se répète perdu dans les ondes et quant a celui-ci, tout commence par une nacelle qui traverse le silence des étendues cosmiques et se poursuit par le signal vivant et musical qu'elle répand, lancé a quiconque le capterait bien un jour et un lieu, d'une oreille disponible et d'un esprit chercheur.
Des heures et des heures de rêverie :
Time Heals All est une clé dont vous êtes la serrure. L'album ouvre de l'inconnu et dévoile de l'insoupçonné, vous fait saisir des impressions et des potentialités qui hanteront vos pensées. Si c'était un bouquin il ferait une brique, si c'était un film il durerait trois heures et quinze :
Time Heals All est une épopée ambiante et métaphysique qui a besoin de temps et de déploiement pour exister a fond.
Voici un triomphe de plus pour James Clements. Il nécessite maintes écoutes, je suis moi-même loin d'avoir traversé l'ensemble de ses réseaux et de ses passages secrets. Le Monsieur ASC non seulement compose des morceaux inventifs, il tisse des albums entiers, cohérents, où pour ainsi dire le crayon de la forme ne dépasse pas la ligne de l'harmonie, et il ouvre des portes artistiques. Sa production est d'une telle clarté, et ses choix thématiques créent un imaginaire où l'on aime a se perdre et a déambuler, comme s'il s'agissait d'un parc ou d'un jardin. Ses synthétiseurs semblent croître et mûrir a chaque album. ASC s'impose d'ores et déja comme une figure de proue musicale, et c'est sans compter son inclination prolifique;
Time Heals All pourrait bien le voir devenir l'un des plus importants artistes de musique électronique de cette décennie. En tout cas il l'a déja marquée a vie.